mardi 19 janvier 2010

La Reconnaissance des Crus Bourgeois : les confidences secrètes d’une dégustatrice

Cela fait longtemps que j’ai intégré le bureau de l’Alliance des Crus Bourgeois : je pense entamer la sixième année de bons et loyaux services à cette famille de crus où je me sens comme un poisson dans l’eau. Et pourtant, il nous est arrivé beaucoup de péripéties : notre classement de juin 2003 a été annulé en Février 2007 ! Passé un moment de désarroi, notre conseil d’administration guidé de mains de maître par notre fidèle Président, Thierry Gardinier, a rapidement pris des décisions. La première : faire la paix, apaiser les tensions entre les viticulteurs (ex du classement de 1932, non retenus en 2003, nouveaux classés ayant perdu leur classement et fauteurs de trouble ayant attaqué le classement…). Sage décision, choix généreux qui permet aujourd’hui aux viticulteurs médocains qui le souhaitent de présenter leur château à la Reconnaissance des Crus Bourgeois. Car tel le phénix, les Crus Bourgeois renaissent de leurs cendres, plus forts qu’auparavant. L’Etat lassé des procès contre les classements (celui de Saint Emilion n’a pas été épargné non plus) a de suite informé l’Alliance qu’il n’homologuerait plus les résultats d’un classement si les conditions d’organisation n’étaient pas révisées sérieusement. L’Alliance ne s’est pas pour autant laissée abattre : elle a inventé la seule et unique sélection de propriétés (éligibilité) et de vins sous le contrôle d’un organisme de vérification : Bureau Véritas. Tout ce processus est basé sur un Cahier des Charges très précis ainsi qu’un Plan de Vérification. Ces deux documents ont été élaborés par la Commission Technique dirigée par Olivier Sèze assisté de Jean-Marc Landureau. Beaucoup de travail pour préciser les limites du Cru Bourgeois ; tout cela validé par les adhérents, lors d’assemblées générales.
2010 : le millésime 2008 va passer à travers ce filtre de la Reconnaissance. Il y a 290 vins candidats. Le 19 Janvier a lieu à Pauillac la première réunion de la commission Reconnaissance. Celle-ci a pour mission (entre autres) de choisir à l’aveugle le panel représentatif des vins (10 pour les AOC communales et autant pour Médoc et Haut Médoc). Ce panel servira ensuite au jury de dégustateurs professionnels pour se caler sur la limite moyenne des Crus Bourgeois : au dessus on passe, en dessous on revoit sa copie. Mais pour être crédible nos dégustateurs de la sous commission doivent passer un test. Celui-ci consiste à déguster 18 vins dont certains ont des défauts majeurs (piqué, goût de géranium, amertume rédhibitoire…) afin d’éliminer les dégustateurs trop sévères ou trop laxistes. J’ai donc vécu un moment historique, tout à l’heure en me prêtant à cet examen. J’en suis ressortie fatiguée mais fière de cette famille des Crus Bourgeois qui ose, en pleine crise viticole, se remettre en question. Cela force le respect et j’espère de tout cœur que les consommateurs répondront de manière positive à cette démarche objective dans la qualité.

Marie Laure Lurton, créatrice de vins